Aux premiers jours du confinement général lié à la crise du COVID-19, Philippe Silberzahn lançait un appel à rejoindre un groupe Linkedin appelé « Les citrons de la Marne ». L’objectif ? Aider les entrepreneurs à surmonter le choc et la sidération en adoptant un nouveau schéma de pensée appelé Effectuation. Théorisé depuis près de 2 décennies par la chercheuse Saras Sarasvathy, cette méthode entrepreneuriale pourrait constituer le meilleur moyen de s’inscrire efficacement dans une dynamique de relance économique !
La crise du COVID-19 a un impact brutal sur l’économie mondiale. En France, avec un PIB en recul au deuxième trimestre, de près de 14% selon l’INSEE, des dépenses de consommation qui chutent de près de 11% et des exportations qui s’effondrent littéralement (-25,5% au deuxième trimestre), difficile de garder l’enthousiasme et l’énergie indispensables pour continuer d’avancer. Et pourtant ! Cette tornade économico-financière devrait encore durer pendant de longs mois, d’autant que les indicateurs sanitaires demeurent dans le rouge. Dans ce contexte, les chefs d’entreprise, l’industrie autant que les services sont toutefois condamnés à avancer. Avancer ou tomber. Parce qu’entre ces deux alternatives, une seule semble acceptable, Philippe Silberzahn, chercheur, formateur et conférencier en est certain :
« L’effectuation est un virage philosophique qui permet de tirer parti de l’incertitude profonde qui va planer pendant encore longtemps sur le monde de l’entreprise ».
Effectuation : Quèsaco ?
« La seule certitude que nous ayons actuellement ironise Philippe Silberzahn, c’est que cette période d’incertitude risque de durer ». Dès lors, que faire ? Se recroqueviller dans sa coquille en espérant une sortie de crise rapide ? C’est sans doute la posture la plus hasardeuse qui soit. « Depuis toujours, nous subissons le joug du forecast. Nous sommes inscrits dans un culte de la prévision. Cela vaut dans toutes les entreprises, dans tous les secteurs d’activité, commente Philippe Silberzahn. Mais comment répondre à ce désir de prévisibilité lorsque plus rien de ce que l’on croyait savoir n’existe ? ».
L’effectuation apparaît comme une alternative prometteuse. Le principe : se positionner le plus vite possible sur demain en osant lancer de nouveaux marchés, de nouveaux produits ou services en s’appuyant sur le potentiel existant au sein de l’entreprise. « Si l’on admet le principe que planifier à long terme est une aberration du fait des inconnues trop nombreuses, il s’agit de composer avec l’aléa car une prédiction trop rigide fragilise les organisations. Elle agit comme une entrave à l’agilité et à la créativité ».
Une question de méthode…
Derrière les considérations « philosophiques » qui se rattachent à l’effectuation, il y a aussi une méthode qui repose sur 5 principes clés :
- S’appuyer sur les moyens disponibles et son propre réseau de compétences ;
- Définir non pas le gain potentiel, mais la perte acceptable en cas d’échec ;
- Fonder le projet sur l’édification d’un réseau de partenaires ou la constitution d’un écosystème plutôt que sur une analyse concurrentielle ;
- Tirer profit de tous les aléas plutôt que de chercher à les anticiper pour les éviter ;
- Être créateur de l’avenir plutôt que visionnaire.
« Je ne crois pas, explique Philippe Silberzahn, qu’il faille totalement renoncer au forecast, mais je suggère qu’il ne domine plus la réflexion de l’entrepreneur. Le COVID-19 a révélé les limites du prédictif. Et lorsque le système s’arrête, penser autrement, accepter que l’on ne puisse pas contrôler l’avenir autrement qu’en l’inventant avec les autres, devient évident ».
Les citrons de la Marne : se mobiliser face à la crise
Le 25 mars dernier, aux premiers jours d’un confinement aux conséquences encore parfaitement inconnues, Philippe Silberzahn prenait une initiative baptisée Les citrons de la Marne. Le principe ? Agir même si le climat d’incertitude atteignait alors un niveau paroxystique. Aux côtés de fervents défenseurs de l’effectuation (Julien Frisson (entrepreneur), Guillaume Maison (entrepreneur), et Dominique Vian (chercheur), il propose aux entrepreneurs et chefs d’entreprise de rejoindre le groupe afin de les aider à identifier des leviers d’actions pour continuer d’avancer et pour préparer leur avenir.
« Notre appel était simple et symbolique à la fois, explique Philippe Silberzahn. Nous voulions, en faisant référence aux Taxis de la Marne, démontrer que la communauté française de l’Effectuation pouvait se mobiliser ». Vous vous interrogez sur les citrons ? C’est l’exemple le plus connu pour illustrer l’un des principes fondateurs de l’effectuation : « Si la vie vous envoie des citrons, vendez de la citronnade ».
En d’autres termes, sachez tirer profit des surprises, faites preuve d’inventivité et d’opportunisme face à l’adversité. « Dans une période aussi anxiogène, nous voulions faire comprendre que grâce à l’effectuation, quelle que soit la situation, mêmes dans les pires moments, rien n’est jamais fondamentalement désespéré si vous acceptez de vous réinventer en exploitant le potentiel à votre disposition », confirme Philippe Silberzahn.
Si Les citrons de la Marne avaient une portée essentiellement symbolique et consistait surtout à apporter une réponse à l’urgence de la situation, Philippe Silberzahn en est convaincu : pour changer les mentalités et libérer l’énergie créatrice de l’entrepreneuriat, il faut éduquer et enseigner les principes de l’effectuation dans les écoles de commerce ou de management, et dans les écoles d’ingénieur. « Il faut inculquer et développer la culture de l’incertitude même si les apports de la donnée contribuent à une prévisibilité, une prédictibilité toujours plus forte. Les deux disciplines ne s’excluent pas l’une l’autre, elles doivent être combinées ! », affirme Philippe Silberzahn.
Effectuation : pourquoi pas vous ?
Vous aussi, vous souhaitez inventer demain, prendre votre destin en main envers et contre tout ? Votre schéma de pensée semble compatible avec l’effectuation.
« Tous les secteurs d’activité peuvent s’approprier l’effectuation car il s’agit avant tout d’un modèle mental résolument positif et tourné vers l’action ».
Mais de l’ambition à la conviction et de la conviction à la concrétisation, il y a cependant un pas de géant à franchir car on renonce difficilement à l’habitude des tableaux Excel et des prévisions ! Parmi les cinq piliers de l’effectuation, celui qui contribue le plus à libérer votre potentiel créatif, c’est celui de la perte acceptable. « À mon sens, c’est celui qu’il faut s’approprier en priorité, observe Philippe Silberzahn. Lorsque n’êtes pas contraint par un objectif de gains mais au respect d’un seuil de perte au-delà duquel vous renoncerez, la perception de votre projet change du tout au tout. Vous ne réfléchissez plus en termes de risques, mais d’opportunités. Une vision qui fait toute la différence ». Mais, au-delà de cette disposition de l’esprit, l’autre enjeu déterminant, c’est votre capacité à vous entourer.
« La créativité n’existe que dans la synergie entre acteurs économiques ou industriels. Plus que jamais, les entrepreneurs ont besoin de se tourner vers d’autres pour avancer et faire face à l’aléa ! ».
Combiner les forces, les associer pour démultiplier l’inventivité, l’audace et l’enthousiasme, une perspective prometteuse ! « L’effectuation, c’est travailler avec les autres, profiter de la force d’un écosystème de partenaire, comme une boule de neige qui accumule l’énergie et avance encore, avance toujours », conclut Philippe Silberzahn.