Dans une société confrontée à la digitalisation des activités qu’elles soient personnelles ou professionnelles, la perception que les collaborateurs ont de leur emploi a profondément évolué. Entre passion economy, quête de sens ou entreprises à mission, Thierry Rayna, Professeur en Management de l’innovation de l’École Polytechnique, partage sa vision d’une transformation qui s’est considérablement accélérée !
En ce qui me concerne, j’ai eu deux carrières professionnelles. L’une, très courte en tant que musicien. L’autre, beaucoup plus longue en tant qu’académique. Ce que je retiens, c’est que les industries culturelles et créatives et le monde académique se caractérisaient toutes deux par un rapport au travail assez spécifique car l’implication personnelle y est très forte. Lorsque j’ai entamé ma vie professionnelle, ces deux univers étaient clairement à part dans le monde du travail et dans le reste de l’économie ou, plus globalement, dans la société. J’ai la sensation aujourd’hui d’un certain rééquilibrage. Plus le temps passe, plus le rapport que les Français entretiennent avec leur emploi se rapproche de ce qui était une spécificité propre à l’industrie créative ou encore la recherche et l’enseignement universitaire. L’exercice d’une activité professionnelle devient peu à peu une expérience personnelle et collective à la fois. L’entreprise devient progressivement, d’une certaine façon, un support à la réalisation d’objectifs personnels. Elles sont des réalités indispensables, mais elles interviennent finalement des plateformes qui permettent aux collaborateurs de concrétiser, diffuser, en un mot accomplir leurs missions.
Tous passionnés ?
On évoque régulièrement le concept de « passion economy » qui est fondé sur le principe que chaque collaborateur assouvit une passion en se rendant au travail. Mais il y a toujours débat entre passion et raison. La liberté et l’autonomie dans l’exercice professionnel peuvent être un don, mais elles peuvent également susciter bien des problématiques. À titre personnel, j’ai la chance de choisir de vivre cette autonomie comme un accomplissement, mais il ne faut pas perdre de vue que des pans entiers de notre économie voient les conditions de travail se dégrader, cédant la place à une précarisation inquiétante.
Dans ce contexte, la liberté n’a rien d’un choix ou d’une source d’épanouissement potentiel. Si l’on considère par exemple le secteur de la livraison à domicile, les professionnels sont libres de leurs heures de travail, ils ont le choix entre plusieurs plateformes…, mais exercent-ils par passion et par choix ? Il est tout de même permis d’en douter… Si le rapport au travail évolue indéniablement, gardons-nous de sombrer dans l’angélisme. Toutefois, il est clair que les étudiants, mais aussi les jeunes actifs, s’interrogent sur le sens de ce qu’ils font au sein des entreprises qui les accueillent.
« Le cliché du métro-boulot-dodo et d’un accomplissement personnel en dehors du travail est clairement mis à mal. Mais il faut également se préserver de l’excès inverse et de ne chercher à se réaliser, uniquement dans le cadre professionnel. » — Thierry Rayna
Bien-être des collaborateurs et RSE : entre posture et sincérité ?
Si l’entreprise à mission n’a rien d’un concept véritablement nouveau, il n’en reste pas moins qu’elle soulève des interrogations. Dans les faits, la question du rapport que l’entreprise entretient avec ses collaborateurs a toujours été cruciale, mais elle a parfois été oubliée. Après la révolution industrielle, la place de l’humain a évolué. La distinction entre l’Homme et la Machine était assez floue, notamment dans les usines mais dès le début du XXème siècle, des questionnements profonds surgissent. Le paternalisme ouvrier en France en est une incarnation.
L’entreprise a toujours eu intérêt à se préoccuper du bien être de ses salariés, ne serait-ce que pour des enjeux de productivité. Durant la Guerre Froide et jusque dans les années 90, maltraiter ses employés était plus difficilement concevable, par crainte que cela n’alimente des sentiments « pro-communistes ». L’entreprise s’est pensée comme une machine à profit qui doit optimiser ses process et à perdu de vue l’essentiel. Le retour aux avant-postes de l’épanouissement et du bien-être des salariés ne s’est pas fait sous une pression géopolitique ; il ne s’est pas fait sous l’impulsion d’une idéologie patronale, mais d’une demande de la population et des consommateurs. Les entreprises se sont approprié cet élan et ont engagé des projets RSE (Responsabilité sociétale et environnementale) mais, pour une grande majorité d’entre elles, il s’agit avant tout d’une posture, d’un levier de communication.
Toutefois, dans un monde où l’individu s’inscrit désormais dans une quête de sens, il est impératif pour attirer et retenir les talents que de créer les conditions qui répondent à cette préoccupation. Parce que les frontières de l’entreprise avec son écosystème sont extrêmement diffuses, il faut aussi pour attirer et retenir des partenaires, s’inscrire dans cette démarche. Au-delà des effets d’affichage, la transformation doit désormais être sincère, ce qui n’exclut pas la vocation première d’une entreprise : générer du profit ! Pour y parvenir, il s’agit de repenser la mesure de la performance. Le profit ne peut plus être décorrélé de l’impact environnemental, sociétal et humain.
Découvrez ci-dessous l’intégralité du troisième épisode des Regards Croisés École Polytechnique X Dassault Systèmes !
Si cette vidéo vous a plu, vous pouvez (re)visionner l’épisode 1 et l’épisode 2 des Regards croisés École Polytechnique X Dassault Systèmes.