En mars s’est tenu à Lyon le salon Global Industrie 2019, sorte de pendant du Salon de l’Agriculture, destiné aux acteurs industriels et aux pouvoirs publics : un plateau d’une richesse extrême tant du point de vue des solutions et services présentés que des rencontres humaines. Petit tour d’horizon des grandes idées thématiques qui se sont dégagées.
“La machine est-elle plus forte que l’Homme ? Cette question n’a aucun sens. Oui, une machine produit plus vite que l’Homme, mais les outils ont toujours augmenté l’Homme ! Oui, une machine peut tout expliquer, mais elle ne comprend rien ! C’est très important de s’en souvenir quand on travaille dans ce domaine-là.”
Croiser le philosophe Raphaël Enthoven au cœur d’un salon dédié à l’industrie nous dit que quelque chose se joue au-delà des strictes avancées technologiques en cours.
Transformation industrielle : les trois enjeux actuels
Une chose est sûre : vous rendre au salon Global Industrie, qui s’est tenu à Lyon du 5 au 8 mars 2019, c’est plonger dans la richesse quelque peu fourre-tout de tout bon salon qui se respecte. De toutes ces expériences immersives bluffantes, ces conférences variées et passionnantes, ces dirigeants d’usine, ces “capitaines d’industrie”, ces ingénieurs, ces élus territoriaux, ces ministres aperçus dans ce temple éphémère dédié à l’industrie, trois forts enjeux semblent se dégager : l’évolution (la révolution ?) des modèles économiques et de la production industrielle, l’accompagnement des entreprises et en particulier celui des PME, les implications sur l’emploi et la formation initiale et continue.
Modèles économiques : évolution ou révolution ?
Depuis le mois de janvier 2019, Olivier Lluansi est Délégué aux Territoires d’industrie auprès du Ministre de l’Économie et des Finances et de la Ministre de la Cohésion des Territoires. Ce polytechnicien, ingénieur du Corps des Mines, a une grande expérience du terrain industriel (Directeur de la transformation numérique chez RTE, plus de dix ans chez Saint-Gobain, notamment).
Selon lui, le changement du modèle économique des entreprises en faveur de l’usage et du serviciel “est économiquement inéluctable. Et arrêtons de parler d’industrie “du futur” : c’est une onde de choc qui se propage aujourd’hui, avec des solutions qui existent déjà. Quarante briques technologiques sont identifiées parmi lesquelles l’entreprise qui se transforme en choisit quelques-unes à mettre dans ses usines. Le résultat, c’est 20 à 30% de gain de productivité !” Mais il ajoute avoir cru que “les industriels réfléchiraient à leur transformation en se basant d’abord sur leurs coûts de production. Dans la réalité, beaucoup d’entre eux entament une démarche servicielle en s’interrogeant d’abord sur le besoin de leur client et l’expérience qu’ils peuvent lui proposer.” Tout ceci implique des changements dans les modèles économiques qui sont déjà ou s’annoncent très profonds. “C’est une question de vie ou de mort”, affirme Olivier Lluansi.
Un boulon connecté et primé
L’entreprise Cathelain est un bon exemple de changement de modèle économique par l’innovation et le serviciel. Située depuis 115 ans dans le département du Nord de la France, cette PME industrielle a reçu lors de Global Industrie l’Award “Nouvelle Technologie” pour le C-Bolt, son boulon connecté. Sa technologie basée sur des capteurs et de la fibre optique, est capable de connecter les vis, les boulons et les tiges filetées. Comme le dit Olivier Lluansi, qui a d’ailleurs remis l’Award, “la visserie, cela ne semble pas compliqué. En réalité, un boulon peut être un élément de sécurité, ne doit pas rouiller, ni être trop serré. L’entreprise Cathelain, en permettant aux industriels de faire de la maintenance prédictive grâce aux données captées et transmises avec son boulon connecté, a profondément changé son modèle économique.” En effet, son dirigeant Christophe Cathelain, a fait évoluer son offre de boulons vers le service haut de gamme, devenant ainsi un acteur de l’industrie connectée 4.0, d’abord à l’écoute des besoins de ses clients.
Transformation et plateformes
Pour Sébastien Massart, Directeur de la Stratégie chez Dassault Systèmes, “dans “transformation numérique”, le focus est à mettre sur le terme “transformation”. Le “numérique” n’en est que le moyen et la conséquence”, confirmant lui aussi que “le monde n’est plus centré sur le produit, mais sur l’expérience et l’usage.” Venu présenter la plateforme 3DEXPERIENCE, Sébastien Massart insiste aussi sur cette conviction de Dassault Systèmes que “les mondes virtuels permettent d’améliorer le monde réel”.
Une conviction que l’entreprise met en pratique depuis de nombreuses années au service d’une grande diversité d’entreprises et d’industries, de la conception à la production. Donnant ainsi tout leur sens aux notions de plateformes et de continuité numériques : permettre aux personnes, aux idées, aux processus, aux machines, aux objets de se connecter, libérer la créativité et l’entrepreneuriat de chacun, au profit de l’innovation et de l’expérience utilisateur.
Pour qui la valeur ajoutée ?
Olivier Lluansi se demande comment la valeur ajoutée liée à la donnée ainsi captée et exploitée va se répartir, entre l’industriel, le fournisseur de solutions, le GAFA et le client. “Vous optimisez votre productivité de 20 ou 30 % : dans quelle poche la marge supplémentaire va-t-elle ? Baissez-vous votre prix parce que vos concurrents le font, faisant ainsi de votre client le principal bénéficiaire ? La réponse est aujourd’hui très incertaine”, affirme le Délégué aux Territoires d’industrie.
Mais il ajoute être capable d’identifier clairement “au moins 20 à 30 milliards d’euros de valeur ajoutée qui sont en train de circuler entre ces quatre types d’acteurs. Et ce n’est qu’un début : certaines prospectives annoncent que cette valeur ajoutée va prochainement être multipliée par dix et que ce sont les acteurs qui offriront les plateformes numériques qui la récupéreront.”
Seulement voilà, l’industrie voit apparaître une nouvelle brique technologique tous les six mois. “Il faut accepter de vivre dans une période actuelle incertaine, où il faut savoir saisir des opportunités, explique encore Olivier Lluansi qui ajoute dans le même temps “toute la difficulté des industries à satisfaire les actionnaires et ce besoin de réinventer leur technologie souvent. C’est une période agile qui crée de l’insécurité”.
Accompagner les entreprises : le dispositif “Territoires d’Industrie”
Dans cette période peu sûre mais riche de promesses pour les entreprises en pleine transformation ou désireuses de le faire, leur accompagnement devient primordial. En cela, l’État et les collectivités territoriales comptent jouer un grand rôle.
Lancé par le Premier Ministre Édouard Philippe au mois de novembre 2018, le dispositif “Territoires d’Industrie” a vu se dérouler sa première Assemblée Générale les 5 et 6 mars au Salon Global Industrie, réunissant plus de 300 élus et industriels.
Agnès Pannier-Runacher, la Secrétaire d’État auprès du Ministre de l’Économie et des Finances, y a rappelé que “50000 emplois industriels sont non-pourvus aujourd’hui. Cette situation pénalise la croissance des entreprises qui refusent des commandes et perdent des parts de marché pour cette raison. C’est invraisemblable dans un pays où le chômage, qui a certes baissé, est quand même à 8,8% de la population active. On doit pouvoir progresser.” Territoires d’Industrie vise à redynamiser le tissu industriel, favoriser l’emploi local, promouvoir l’innovation et soutenir la compétitivité internationale. 1 milliard 360 millions d’euros vont ainsi être investis au profit des 136 territoires identifiés “à fort enjeu industriel”.
“Les industriels doivent jouer collectif”
Pour accompagner ces territoires et leurs entreprises, un “panier de services” doit faciliter les recrutements (offre de formation aux métiers industriels renforcée), l’accès des PME à la recherche et au développement (accompagnement dans leur transition vers l’industrie du futur), la mobilisation d’opérateurs de l’État comme la Banque des Territoires, Business France, Bpifrance ou encore la simplification administrative par l’octroi de dérogations pouvant faciliter la mise en œuvre des projets.
Lors de cette Assemblée Générale, le Président du Conseil National de l’Industrie qui définit l’orientation industrielle de la France, Philippe Varin, a exposé sa conviction : “cette reconquête industrielle, après 20 ans de déclin en France, ne se fera qu’avec l’effort de tous, dans une “équipe de France” où chacun doit jouer son rôle : c’est aux territoires et aux régions de piloter la réindustrialisation sur le terrain, c’est à l’État de faire en sorte que l’écosystème soit favorable, et il appartient aux industriels de se prendre en main en jouant collectivement. Nous avons un défi de compétitivité-coût à relever. Je pense que les 18 filières industrielles identifiées sont un bon moyen de faire ce travail collectif”.
Lors de la Semaine de l’Industrie, du 18 au 24 mars, un certain nombre de contrats de territoires d’industrie ont été signés entre les Territoires et l’État, concrétisant plus encore le dispositif. Sur le terrain, “dans les 25000 PME, la pénétration de la numérisation n’est que de 20%. On voit bien les écarts à combler. Pour cela, les Territoires d’Industrie sont les lieux où les communautés industrielles et surtout les dirigeants de PME vont bénéficier d’un soutien pair à pair. C’est très important”, conclut Philippe Varin.
Robotisation, IA : lever les peurs
Facilitée d’un côté, la transformation des industries par le numérique connaît aussi ses freins. Parmi eux, les craintes associées à la robotisation et à l’intelligence artificielle. Le SYMOP est l’organisation professionnelle des fabricants et importateurs de machines et technologies de production. Les enseignements tirés de son programme Robot Start PME, qui accompagne les PME dans l’acquisition de leur premier robot, sont très parlants.
C’est Claire Brillanceau, Chargée de Professions, qui en parle le mieux : en prenant comme base les 106 PME accompagnées, “le robot intégré a augmenté la productivité pour 86% des entreprises, la rentabilité pour 68%. Il a renforcé l’image de marque pour 77% des entreprises accompagnées. Pour 61% d’entre elles, le robot a renforcé la relation de confiance avec leurs clients.” Cette enquête montre des chiffres très significatifs en faveur de la robotisation.
Mais le robot a-t-il menacé l’emploi ? “C’est tout le contraire, affirme Claire Brillanceau, toujours sur notre panel des 106 entreprises accompagnées, 84% d’entre elles comptent embaucher entre 1 et 10 salariés suite à l’intégration de la cellule robotique. On sait également que sur ce même panel, une cinquantaine d’emplois a déjà été créée”. Des résultats que Nelly Duprat, Responsable de la Communication du SYMOP, met en perspective. “La volonté des chefs d’entreprise était avant tout de soulager leurs employés. Non seulement cet objectif initial a été atteint, mais ils ont aussi gagné des parts de marché, en ont développé des nouveaux”.
Autre conséquence positive, notée par le SYMOP dans le cadre du programme Robot Start PME, expliquée par Nelly Duprat : “Il y avait beaucoup de réticence et d’idées reçues chez les salariés, contre l’arrivée d’un robot. Des freins vite levés par la discussion : les salariés ont non seulement compris qu’ils n’allaient pas perdre leur emploi, mais que leur emploi allait être revalorisé, notamment à leurs propres yeux. En effet, une personne qui faisait de la manutention commande maintenant le robot, d’autres salariés sont devenus intégrateurs-programmateurs de robot.”
Autre avantage revendiqué : grâce au robot, des postes physiquement ou techniquement difficiles, voire dangereux, deviennent plus facilement accessibles, que l’on soit un homme, une femme, plus jeune ou moins jeune.
“Une notion nébuleuse pour certains clients”
La transformation des entreprises par le numérique est grandement facilitée, voire permise, par les plateformes collaboratives ou des outils comme SOLIDWORKS de Dassault Systèmes. Visiativ accompagne ses clients en transformation, souvent sur toute leur chaîne de valeur. Cette notion d’accompagnement est très importante pour Julien Chapuis, commercial chez Visiativ, “mais d’abord il faut dédramatiser la notion de transformation numérique, parfois un peu nébuleuse pour certains de nos clients. À nous de démontrer que les enjeux sont là, qu’il est primordial de se lancer car le marché évolue”. Visiativ écoute ses clients pour comprendre leurs problématiques dont certaines se recoupent, quand d’autres leur sont spécifiques. Une fois ce travail réalisé, il est possible d’identifier les axes de transformation possibles, auxquels les clients n’ont parfois pas pensé.
Pour convaincre le client d’engager une démarche de transformation, les arguments ne manquent pas en faveur de l’ouverture de la 3D à l’intégralité de son entreprise, “ du gain de temps de production, de réduction des coûts, de capacité à répondre plus rapidement aux appels d’offres, par exemple.”
Concernant les peurs et les réticences à propos de l’impact sur l’emploi, les profils de postes, les organisations, Julien Chapuis en est convaincu, car il le voit sur le terrain : “le numérique n’est qu’un outil qui va aider l’humain. La robotisation peut faire peur. En réalité, je constate que bien conçus et utilisés, les outils numériques sont au service d’un humain qui peut consacrer son énergie et son savoir-faire sur un travail à plus grande valeur ajoutée”.
L’emploi-formation au Global Industrie
Parmi les multiples zones spécialisées proposées par le salon Global Industrie, la partie baptisée “Campus” comprend entre autres choses, une plateforme de recrutement mise à la disposition des exposants du salon et des visiteurs. Valentin Vaqué, chargé d’Affaires RH et Innovation chez Auvergne Rhône-Alpes Entreprises, explique que “l’outil va faire du vrai matching entre le candidat et les entreprises exposantes ou non au Global Industrie. Si l’entreprise n’expose pas, elle peut aussi réserver un box gratuit, dédié à ses entretiens de recrutement sur le salon. Tout le monde est gagnant”.
Il faut dire que selon l’Apec, les prévisions de recrutement de cadres par l’industrie en 2019 sont très positives, après un bon bilan en 2018 : entre 40500 et 44000 recrutements seraient ainsi anticipés par les entreprises industrielles en 2019. Les explications de cette hausse continue sont multiples et constituent un cercle vertueux : une meilleure conjoncture qui remplit les carnets de commandes, mais aussi la transformation de l’industrie par le numérique et l’évolution des métiers, qui demandent de nouvelles compétences, et en plus grand nombre.
Les enjeux “compétences” des entreprises
Dans ce contexte, les entreprises industrielles doivent pouvoir accéder à de nouvelles compétences, adaptées en quasi temps réel à leurs besoins évoluant au fil de leur transformation. A ce titre le “long life learning” est une démarche incontournable, aussi bien pour les formés que pour les entreprises : il leur permet de rester compétitifs et d’assurer leur “développement durable” propre.
Présent sur Global Industrie, le département Workforce for the Future, de Dassault Systèmes, est à la fois une émanation et une réponse de cette désormais nécessaire “formation tout au long de la vie”. L’une de ses vocations est de proposer dès le plus jeune âge, à des collégiens ou des lycéens, des expériences éducatives numériques.
Charles Bonnassieux, en charge du marketing et de la communication du département, rappelle que “la plupart des jobs qui existeront dans 5 ou 10 ans, n’existent pas aujourd’hui. Tout comme les compétences qui leur seront nécessaires. Nos outils Dassault Systèmes essaient de devancer le système scolaire, en regardant ce qui se fait et se fera concrètement dans l’industrie, pour proposer aux enseignants ce qui se fera demain”. Workforce for the Future structure des partenariats avec des entreprises, des écoles comme l’ENSAM (les Arts et Métiers) dont ils sont “très proches du programme de formation ingénieur, qu’elle soit initiale ou continue. Car un ingénieur va devoir de plus en plus souvent changer de job, d’entreprises. Il va donc devoir se former par créneaux, un an sur la mécatronique, un an sur l’engineering… Nos solutions sont faites pour accompagner cette formation tout au long de la vie.”
La Renaissance de l’industrie
Le mot d’ordre de Dassault Systèmes, c’est : “la Renaissance de l’Industrie”. Après avoir arpenté les allées du Salon Global Industrie, cette expression devient une conviction. Mais pas forcément avec la même signification pour tout le monde. “Ce terme de Renaissance est extrêmement vrai et profond”, estime Olivier Lluansi, Délégué aux Territoires d’industrie auprès du Ministre de l’Économie et des Finances et de la Ministre de la Cohésion des Territoires. “Mais ce qui se passe en réalité, c’est que l’industrie revient à ses fondamentaux. L’industrie est là pour élaborer des procédés qui répondent à une demande du plus grand nombre, à des coûts abordables. Là où l’on peut aussi parler de ”Renaissance”, c’est dans l’évolution de la demande de la société vis-à-vis de l’industrie : les gens souhaitent des produits et des services respectueux de l’environnement et personnalisés. L’industrie est obligée de revoir sa façon de se percevoir. Et il y aura une industrie du bio et une industrie du développement durable, prochainement. De ce point de vue, oui, l’industrie va renaître.”
Pour Philippe Varin, le Président du Conseil National de l’Industrie, “un aspect important de la reconquête industrielle à mener et une grande partie de la solution est ici : il faut remettre l’usine au cœur du village”. C’est sans doute ça, la Renaissance de l’Industrie : la somme des visions, des énergies et des solutions de tous les acteurs.