“Nous faisons au XXIème siècle ce qu’a fait Gütenberg au XVème”

Rencontre avec Olivier Leteurtre, le Directeur Général EuroWest de Dassault Systèmes. Une année 2018 très riche, de nombreux projets et événements prévus en 2019, des priorités stratégiques comme les PME, la formation continue ou les énergies de demain… autant de sujets qui viennent illustrer le mot d’ordre de Dassault Systèmes depuis 2018 : la “Renaissance de l’Industrie”.

Dassault Systèmes a réintégré le CAC 40 en 2018 : est-ce une bonne nouvelle?

Avoir réintégré le CAC 40, faire partie des 40 sociétés les plus valorisées en France, c’est un signe positif. D’autant que nous finissons l’année 2018 à + 7%, mieux que l’indice lui-même. Mais notre intérêt, nos enjeux, se trouvent ailleurs.

Oui, 2018 a surtout vu naître de nouveaux partenariats, comme avec EDF ou Boeing…

Boeing et EDF sont intéressants car très différents. Boeing est un partenaire privilégié. Il est intervenu lors de ruptures fortes dans la stratégie de Dassault Systèmes. Son défi est celui de toute l’aéronautique mondiale pour les dix prochaines années : la production. Comment l’augmenter tout en étant plus profitable ? Ses carnets de commandes sont remplis pour 6 à 9 ans : comment les honorer en intégrant tout l’écosystème de Boeing, fournisseurs inclus ? La Marketplace de Dassault Systèmes va pouvoir répondre à ces enjeux.

En quoi le partenariat avec EDF est-il différent ?

Déjà, il ne s’agit plus d’aéronautique, ni d’automobile ! Mais c’est surtout une révolution pour la filière du nucléaire et de l’énergie. Et c’est un tournant dans la vie de Dassault Systèmes. EDF est désormais dans une compétition internationale avec les Chinois, les Coréens, les Américains… Ses nouveaux réacteurs doivent être très compétitifs vis à vis du marché. Pour l’aider à relever ses défis, essentiellement à l’exportation, EDF souhaite travailler avec nous sur un vrai projet de transformation qui intègre son écosystème de 2600 sociétés, rien qu’en France.

L’idée est de passer à une relation collaborative sécurisée qui permet d’optimiser le travail. C’est un contrat d’une durée pouvant aller jusqu’à 20 ans, avec cet acteur dont les cycles de vie des produits sont de 80 à 100 ans. Notre engagement mutuel est donc très fort sur cet énorme chantier qui va impacter la filière du nucléaire et de l’énergie en général.

 Pour accompagner EDF et Boeing dans leur transformation, vous inspirez-vous de votre expérience avec les autres industries ?

Tout d’abord, nous ne les accompagnons pas dans leur transformation : nous sommes un acteur comme eux de cette transformation. Ensuite, oui, il existe une capitalisation des savoirs acquis avec nos industries historiques. Prenons l’exemple des processus de traçabilité, de suivi des exigences appris dans l’aéronautique : nous les mettons à la disposition des autres industries, du naval à la construction, en passant par le nucléaire. Nous avons signé il y a deux ans un contrat avec Naval Group pour les bateaux, mais aussi les sous-marins, nucléaires ou pas. Au mois de mars, les études avec Naval Group démarreront, notamment pour le sous-marin commandé par l’Australie. Ce partenariat va bénéficier des acquis obtenus avec les autres industries.

La personnalisation de vos solutions reste-t-elle importante ?

L’ennemi de l’informatique, c’est la personnalisation ! Plus vous développez un outil de manière spécifique pour un client, plus il coûte cher et moins le client bénéficie de la fertilisation croisée.  Aujourd’hui, notre plate-forme collaborative unique capture tout le savoir et le savoir-faire, les partage, les sécurise, vous donne des informations en un temps record, avec un accès unique. Au final, les gens vont travailler de manière différente. C’est ce qui compte.

C’est dans le sens de la décision du CNI Numérique d’accélérer la transformation du tissu industriel français en équipant de plate-formes numériques 17 filières identifiées, d’ici deux ans…

Cette décision française est unique et très observée dans le monde entier. Pour nous Français, c’est une opportunité de travailler dans de nombreux secteurs. Dassault Systèmes, très actif sur le sujet, a déjà beaucoup avancé sur une dizaine de ces filières. D’autres sont plus exotiques. Tout ceci va dans le bon sens.

Cela fait échos au mot d’ordre de Dassault Systèmes : “Renaissance de l’Industrie”. D’abord, pourquoi ce terme ?

“Renaissance” signifie que l’on construit du neuf, mais c’est aussi en référence à la période historique de l’imprimerie de Gütenberg. En effet, quel est l’objectif de la plate-forme 3DEXPERIENCE de Dassault Systèmes ? Il n’est pas de faire de l’innovation produit, on n’en est plus là ! L’objectif est de connecter les professionnels dans un écosystème varié – du grand groupe à la start-up qui a deux salariés mais dont le niveau d’expertise est très élevé en passant par les laboratoires de recherche ou les acteurs académiques -, de rassembler ces populations dans des communautés, de travailler aux échanges de leurs savoir-faire, de capitaliser dessus, de les diffuser ensuite avec les différents acteurs, pour finalement en sortir une innovation. Ce qu’a fait Gütenberg au XVème siècle, nous le faisons par le numérique au XXIème siècle, au service de la transformation de l’industrie.

La notion de l’humain est donc très présente dans cette “Renaissance”…

C’est l’humain d’abord ! Ces technologies ne font pas le travail de l’humain : elles permettent de le connecter aux autres, pour ensuite valoriser et diffuser le savoir-faire ainsi créé.

Cela pose la question centrale de la formation continue. C’est d’ailleurs l’esprit de notre programme “Workforce of the Future” : faire travailler les personnes en poste à la fois sur les outils et les plate-formes numériques de leur filière et sur les savoir-faire de l’entreprise. D’où l’idée de travailler sur ce que l’Etat appelle des “centres d’accélération de l’industrie du futur” offrant aux grands Industriels, aux PME, aux ETI et aux Académiques des lieux partagés permettant de travailler ensemble de façon plus efficace, d’accompagner les forces vives de l’industrie dans leur montée en compétences, de préparer des formations en adéquation avec les besoins terrains et les outils utilisés par les filières. La plate-forme 3DEXPERIENCE se positionne ici comme la solution pour rendre cette alchimie possible. Nous pouvons ainsi proposer aux gouvernements du monde entier de remettre du lien entre méthode pédagogique, savoir-faire industriel et outils numériques afin de capturer et diffuser ces savoirs pour booster leur économie, réduire le chômage et améliorer leur compétitivité et leur index d’innovation global.

Dassault Systèmes s’adresse aux grandes entreprises, aux gouvernements. Quelle place est réservée aux PME ?

Plus de la moitié de nos affaires se fait avec des PME, voire des TPE !  Nous leur donnons accès à des solutions qui ne leur coûtent pas cher à maintenir car nous nous en occupons. L’attente de ces dernières est forte sur le cloud, par exemple.

Pour compléter notre offre à destination des PME, nous venons également d’acquérir la société américaine IQMS Software. Située surtout sur le marché américain, elle s’adresse en vente directe aux entreprises de taille moyenne dans le domaine manufacturier. Leader sur ce marché, elle n’en a pourtant que 5%. Il y a beaucoup de choses à faire pour accéder aux 95% restants, à commencer par changer de modèle d’affaires. En 2019, nous allons bâtir un canal de vente en vue d’accéder au marché européen de cette typologie d’entreprises. Il ne s’agira donc plus de vente directe. Quoiqu’il en soit, ce rachat renforce le message que Dassault Systèmes est le partenaire de tous les types d’entreprises dans leur  transformation par le numérique.

Toujours en direction des PME et des ETI, Dassault Systèmes propose son “diagnostic de maturité numérique”. Quelle est l’idée ?

Cela se fait habituellement avec de très grosses entreprises sur des projets relativement lourds et longs. Avec les petites entreprises, c’est le même principe de manière plus simple et plus courte : établir un diagnostic qui précisera les moyens, les jalons et les mesures à mettre en place pour atteindre l’objectif fixé. Ce travail prend 5 à 6 mois dans une grande entreprise, mais ne doit pas dépasser 5 à 6 jours dans une PME. La mise en place doit être simple, établir une confiance mutuelle avec l’industriel, et garantir des retours sur investissement rapides et mesurables, à 3 mois ou 6 mois.

Finalement, quel est l’enjeu de la transformation numérique pour les PME ?

Déjà, la transformation numérique, ne revient pas à créer son site web pour montrer ses produits ou numériser la façon dont on travaille déjà. Je schématise, bien sûr. Les vrais sujets de transformation numérique, comme Dassault Systèmes les mène, s’attachent à changer les processus, à capturer les savoirs, à les diffuser dans un écosystème, et conduisent à changer de business model -comme facturer à l’usage- et donc à vous engager autrement vis-à-vis de vos clients. Là réside l’enjeu pour les PME.

Le travail de sensibilisation, voire d’évangélisation est donc important. Est-ce bien l’un des objectifs du French Fab Tour de Bpifrance, que vous parrainez ?

Oui, Dassault Systèmes est très actif sur ce dispositif qui a démarré en janvier. Il vise à aller à la rencontre des hommes et des femmes qui font de l’industrie française une réalité, à créer le dialogue entre industriels, petites entreprises, acteurs régionaux et nationaux, à rendre le sujet accessible aux plus jeunes et à remettre l’industrie au premier plan quand on parle d’emploi et de dynamique économique territoriale. Couvrir 60 dates en 10 mois, c’est un objectif ambitieux que Dassault systèmes est fier de soutenir.

En tant que Directeur général EuroWest de Dassault Systèmes, votre responsabilité dépasse la seule France. Quelles sont les différences de stratégies notables entre vos différentes régions ?

Dassault Systèmes est présent dans 140 pays. Ma responsabilité englobe la France, le Moyen-Orient, la péninsule ibérique et l’Afrique. Toutes ces régions ont les mêmes enjeux de transformation de leur industrie par le numérique. La différence entre eux sera sur la représentativité industrielle et économique.

En France, nous pouvons travailler avec presque l’ensemble des industriels. Avec le Moyen-Orient, nous travaillons dans les domaines de l’Energie, des Cities, un peu dans l’Aerospace. Avec l’Afrique en général, nous travaillons beaucoup avec le secteur minier. Donc il y a une intelligence à mettre en œuvre pour se rapprocher des enjeux de chaque pays, en fonction de leurs représentativités.

Quels seront les prochains jalons avec le Moyen-Orient ou l’Afrique ?

Depuis de nombreuses années, nous travaillons activement sur et avec le Moyen-Orient. Bien sûr, il y a un vrai sujet dans le domaine de l’Oil & Gas. La plus grande société du monde, tout secteur confondu, c’est la saoudienne ARAMCO. Ces sociétés ont vécu avec un prix du baril qui s’était élevé à 80 voire 100 dollars US. Aujourd’hui, leur question est de savoir comment travailler entre 50 et 60 dollars le baril, et non seulement faire une exploitation profitable, mais aussi préparer l’avenir avec les énergies renouvelables et propres ! Le business model du pétrole va être changé. D’ailleurs le gaz est beaucoup plus propre que le pétrole et on est en train de voir comment on peut utiliser le gaz, non seulement comme énergie, mais aussi comme produit en soi pour générer d’autres produits.
Dans le domaine minier en Afrique et en Arabie Saoudite, c’est pareil. Dans les dix prochaines années, la mine va connaître une grande transformation. Pour être moins dépendante aux hydrocarbures, l’Arabie Saoudite veut développer ses mines de phosphate ou d’or pour en faire son deuxième secteur industriel. Nous travaillons sur ce sujet avec leur plus gros minier.

Beaucoup de projets en 2019 pour Dassault Systèmes, auxquels il faut ajouter plusieurs événements importants, à l’image du Salon du Bourget…

En effet, en 2019 se tiendra le Salon du Bourget, qui a lieu tous les deux ans. Nous y croiserons bien sûr nos clients de la filière. Mais il faut savoir que plus de la moitié de nos invités n’ont rien à voir avec l’aéronautique ! Ils viennent de domaines qui ont compris que le monde aéronautique a parfois commencé cette transformation avant eux et qu’ils peuvent bénéficier de l’expérience acquise. Le Salon du Bourget est pour Dassault Systèmes une immense vitrine de projets de transformation industrielle aéronautique, à montrer à des industriels d’autres secteurs.

Un autre grand événement se tiendra le 21 mai 2019 à Paris : le 3DEXPERIENCE FORUM France. Quelle sera sa thématique?

A l’image de la précédente édition, le thème sera celui de la “Renaissance de l’Industrie”. C’est un moment majeur pour nous, que nous attendons avec impatience.

Sa vocation est avant tout d’être un temps et un lieu de partage et d’échanges. Nous transmettrons un certain nombre d’éléments sur notre stratégie. Mais le plus important sera de profiter des témoignages de clients qui sont au début, au milieu ou à la fin de leur phase de transformation, au travers d’un panel représentatif de différents projets, dans différentes industries. Le programme de ce 3DEXPERIENCE FORUM France 2019 s’annonce à l’image de cette année 2019 : très riche !

Frédéric Mélot

Journaliste, auteur et communicant depuis 20 ans, Frédéric Mélot est aussi un entrepreneur de la transformation numérique des médias et des entreprises depuis 1999. En 2017, il crée l’agence conseil Ch@pô, content factory BtoB.

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